La laïcité donne place au religieux
Dans le cadre du projet « Souffle d’Assise » animé par des frères capucins et des laïcs des fraternités franciscaines, la Plateforme Interreligieuse Valais a organisé les 24 et 25 octobre 2015 un colloque : « La laïcité donne place au religieux ».
→ Voir l'article du Nouvelliste du 22.10.2015
Samedi, le pasteur Henri Nerfin, secrétaire du Groupe citoyen « Culture religieuse et humaniste à l’école laïque » a présenté la réflexion que ce groupe a menée au cours de ces dernières années. Il a fait référence à deux documents fondamentaux témoignant des intenses discussions concernant le sujet sensible qu’est la laïcité : le Rapport Debray, « L’Enseignement du fait religieux dans l’école laïque » publié en 2002 et l’article de Paul Ricœur, « La critique et la conviction ». Le fil rouge de son exposé peut se résumer en cette affirmation du philosophe Régis Debray : « La laïcité n’est pas une option spirituelle parmi d’autres, elle est ce qui rend possible leur coexistence ». Celui-ci souligne le déséquilibre entre l’hypersensibilité à l’espace et l’oubli du temps, les deux ancrages fondamentaux de toute civilisation. Ce philosophe français évoque dans son rapport des questions sensibles:
- l’enseignement du religieux n’est pas un enseignement religieux, personne ne peut confondre catéchèse et information, proposition de foi et offre de savoir,
- la quête de sens est bien une réalité sociale dont l’Education Nationale ne peut faire litière mais on ne saurait pour répondre à la demande et par facilité reconnaître aux « religions » un quelconque monopole du sens. Pour ce qui est des anxiétés métaphysiques de l’être humain, où il en va de ce qui relie l’individu au temps, au cosmos et à ses congénères, les religions instituées n’ont ni exclusivité ni supériorité a priori,
- la relégation du fait religieux hors des enceintes de la transmission rationnelle et publiquement contrôlées des connaissances favorisent la pathologie du terrain au lieu de l’assainir.
Ce rapport distingue la laïcité d’incompétence (le religieux ne nous regarde pas) et la laïcité d’intelligence (il est de notre devoir de comprendre).
Paul Ricœur, quant à lui, affirme : « Personne ne sature l’espace de la vérité ». Il distingue entre la laïcité de l’Etat (laïcité négative, laïcité d’abstention) et la laïcité de la société civile (laïcité positive, laïcité de confrontation). Distribuer de l’éducation est du ressort de la société civile. Enseigner les religions comme des faits de civilisation s’impose aujourd’hui.
En conclusion, le pasteur Henri Nerfin a mis en évidence la distinction qu’il faut faire entre témoignage et prosélytisme ; le témoignage est l’expression d’une conviction habitée par le croyant, le prosélytisme impose à l’autre sa vérité de foi.
Henri Maudet, secrétaire de la Plateforme Interreligieuse de Genève, a repris tous ses points en présentant les buts de celle-ci. Il a martelé l’importance de la connaissance permettant un dialogue amical, intelligent entre personnes qui ont soif de se découvrir. A Genève, ville internationale, où plus d’une centaine d’entités religieuses coexiste, permettre un espace de parole qui peut être parfois conflictuelle est une nécessité vitale pour la bonne santé du vivre-ensemble.
Dimanche matin, l’abbé Pierre-Yves Maillard, vicaire général du diocèse de Sion, a montré les ambigüités historiques qu’ont entretenu les chrétiens au cours des deux derniers millénaires dans leur rapport au monde. Il a mentionné le texte de l’Evangile de Marc (Mc 12, 17) : «Rendez à César ce qui est à César, et à Dieu ce qui est à Dieu», le Césaropapisme, le Concile Vatican II. En s’appuyant sur Gaudium et Spes et Lumen Gentium, il a montré comment l’Eglise s’ouvre au monde et entretient ces dernières décennies des rapports plus féconds que par le passé avec les différentes traditions religieuses, les politiques, etc. L’Eglise est au service de l’humanité. Chaque homme porte en lui les semences du divin.
Dimanche après-midi, les participants ont vibré au témoignage dense de Mme Latifa Ibn Ziaten, maman d’Imad, premier militaire tué par Mohamed Merah, présidente et fondatrice de l’association « Imad Ibn Ziaten pour la Jeunesse et la Paix ». Au-delà du choc causé par la mort de son fils, Latifa nous a exposé comment cette mort est devenue source de vie. Elle nous a livré son cri d’une femme debout, décidée à mener le combat avec son fils, bien présent en elle, contre la violence et l’inhumanité. Son action se situe à l’école et dans les prisons. Comment l’Education Nationale en France essaie de faire de tous ses enfants des Français sans rompre avec leurs origines ? Comment pratiquer sa religion sans porter atteinte à la laïcité ? Comment continuer à construire dans un pays où le sang de sa progéniture a coulé ?
Au cœur de ces paroles, le pardon, le dialogue, la convivialité, la ténacité, l’espérance étaient les maîtres mots. Toujours regarder l’autre sans peur, les yeux dans les yeux, à hauteur d’homme. Cette femme nous a donné une leçon d’humilité, de courage, d’amour. L’humain était au rendez-vous ce week-end.
Brigitte Gobbé